🌫️ Le piège d'un vision en tunnel
La lutte contre le changement climatique est devenue un impératif planétaire. Mais dans cette course à la neutralité carbone, un biais s’installe : celui de ne plus voir que le CO₂, au détriment d’une vision écologique globale. C’est ce que Jan Konietzko appelle la Carbon Tunnel Vision.

Ce concept critique une approche technocratique du climat où la seule métrique de réduction des émissions devient le Graal, masquant les effets collatéraux sur la biodiversité, l’eau, les sols, la justice sociale, et plus largement, la capacité des écosystèmes à soutenir la vie.
Or, dans un monde à +4°C — scénario plausible selon les trajectoires actuelles — la résilience locale, la diversité biologique et la justice territoriale deviennent aussi vitales que les courbes d’émissions.
🏠Le projet : décarboner et réindustrialiser Fos-sur-Mer

En 2024-2025, un débat public majeur a été lancé sur 17 projets industriels dans la région de Fos-sur-Mer et de l’étang de Berre, dans le cadre de la « décarbonation et réindustrialisation du Golfe de Fos ». Ces projets, portés par des géants de l’énergie, des start-ups industrielles ou les pouvoirs publics, ambitionnent de transformer la zone industrialo-portuaire en hub de transition énergétique : hydrogène vert, sidérurgie électrique, capture de CO₂, électrification, e-carburants...
On parle de plus de 10 milliards d’euros d’investissements et plus de 10 000 emplois projetés à horizon 2035.
Mais derrière les promesses de « neutralité carbone », quelles natures futures se dessinent ?
🗣️ Le débat public : une opportunité démocratique sous tension
Piloté par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), ce débat a donné lieu à de multiples contributions : institutions, associations, citoyens, scientifiques, industriels...
Cependant, plusieurs critiques ont émergé :
- ❗ Une absence de vision globale de l’écosystème : les projets sont analysés de manière fragmentée.
- ❗ Une absence d’alternative au modèle industriel portuaire.
- ❗ Une fixation sur les chiffres de CO₂ évités, sans évaluation de la consommation d’eau, des impacts fonciers, de l’artificialisation ou de la santé publique.
C’est dans ce contexte que nous proposons une lecture radicale de ces projets, non pas selon leur potentiel carbone uniquement, mais à la lumière des limites planétaires et des fondements du donut écologique et social.

🔎 Sortir du tunnel ?
Nous avons classé les projets selon leur degré d’inscription dans une vision carbone réductrice :
âś… Projets holistiques (faible Carbon Tunnel Vision)
Des projets sobres, inscrits dans des sites existants, à impact limité sur le vivant :
- Carbon Lab – Centre de R&D photovoltaïque, sur friche industrielle réhabilitée.
- Carbon 1 – Ligne pilote modeste de panneaux solaires.
- Décarbonation ArcelorMittal Fos – Substitution du haut-fourneau par un four électrique, sur site existant.
đźź Projets technologiques sous conditions
Des initiatives ambitieuses en termes de CO₂, mais qui posent des questions sur la gouvernance, l’eau, les usages du sol :
- GravitHy – Sidérurgie à hydrogène : prometteuse mais énergivore.
- Masshylia / Air Liquide ELYFOS – Hydrogène vert : selon la source d’électricité et la gestion de l’eau.
- Carbon Giga Factory – 45 ha de panneaux PV… mais aussi de béton.
🟥 Projets captifs de la Carbon Tunnel Vision
Des projets ultra-coûteux, focalisés sur le CO₂ mais oubliant les dommages collatéraux :
- Rhône Décarbonation (CCUS) – Capturer le CO₂ sans changer le modèle cimentier.
- H₂V Fos / NeoCarb – E-carburants très gourmands en ressources.
- Infrastructures routières et logistiques (ZSP2, RD268, A54) – N’ont rien de décarbonés, mais sont justifiés... par les autres projets.
đź§ Ce que le donut nous enseigne
Le Donut de Kate Raworth nous invite à rester au-dessus du plancher social (emplois, santé, logement) et en deçà du plafond écologique (limites planétaires).
Or, fixer la stratégie régionale uniquement sur le CO₂ revient à oublier la moitié du cercle.
📌 L’eau dans une région méditerranéenne déjà stressée ?
📌 L’artificialisation des zones humides camarguaises ?
📌 Les inégalités environnementales vécues par les riverains des zones Seveso ?
📌 La dépendance au marché mondial du solaire ou des métaux ?
✊ Pour une bifurcation juste, locale et vivante
Réindustrialiser, oui. Mais pas à n’importe quel prix, ni dans n’importe quelles conditions.
La transition ne doit pas remplacer une forme d’extractivisme par une autre, ni sacrifier les territoires au nom d’un objectif carbone abstrait.
👉 Il est temps de réinsérer le climat dans le vivant.
👉 Il est temps de concevoir la résilience territoriale au-delà des technosolutions.
👉 Il est temps de voir clair au-delà du tunnel.